🌅 Ethereum 2.0 : une étape historique pour les cryptos ?
🎙 Interview avec Romain Saguy, CRO chez Coinhouse
Bonjour à tous,
Je suis très heureux de vous retrouver pour une nouvelle interview. Cette fois-ci, j’ai interrogé Romain Saguy, Directeur des Opérations chez Coinhouse, une entreprise française qui propose des services de gestion et de transactions de cryptos depuis 2015 et anciennement connue sous le nom de “La Maison du Bitcoin”.
Deux grands sujets sont abordés dans notre entretien :
L’impact écologique du Bitcoin et des cryptos en général ;
The Merge, la mise à jour du réseau Ethereum qui interviendra le 15 septembre et ce qu’elle implique pour le marché.
L’idée de cette interview est de donner le plus d’informations possible aux lecteurs et donc de creuser les deux thématiques abordées.
Avant de commencer et si ce n’est pas encore fait, n’hésitez pas à vous inscrire avec le lien qui suit. Il y a deux formules : une gratuite, une payante.
Amaury : Romain, peux-tu nous expliquer ton rôle et tes fonctions au sein de Coinhouse ?
Romain Saguy : Une des particularités fortes de Coinhouse est d'avoir des équipes d'accompagnement qui sont là pour aider nos clients (particuliers ou entreprises) à investir et à naviguer dans l'écosystème des cryptos-actifs.
L'autre grande particularité c'est que nous proposons des produits uniques, notamment un Mandat de Gestion (qui permet de déléguer la gestion de son portefeuille à nos équipes), des Comptes à Termes (pour les entreprises qui souhaitent placer de la trésorerie), ou des services de Custody pour les Institutionnels (Fonds d’Investissement, Banques etc.)
En tant que Directeur des Opérations mon rôle est de veiller à la qualité des services d’accompagnement que nous proposons et de m'assurer que nos modes de gestion en interne sont alignés avec les intérêts de nos clients.
Mais dans un écosystème aussi innovant que celui du Web3 cela nécessite aussi d'imaginer, de construire et de proposer régulièrement de nouveaux produits et services pour répondre aux besoins nouveaux qui émergent, par exemple sur la gestion des Paiements, l'achat et la conservation de NFT, ou encore la mise en place de partenariats permettant la distribution de produits cryptos par des acteurs traditionnels.
Bitcoin est souvent mis en cause pour son coût écologique élevé. Qu’en penses -tu ?
R.S. : Je n'ai pas encore vu une seule critique sur l'impact environnemental de Bitcoin qui soit émise par une personne qui ait étudié en détail le fonctionnement réel de Bitcoin, et qui soit également bien formée aux enjeux de la transition écologique. Jean Marc Jancovici a récemment pris la parole sur Linkedin, mais avec une réponse générale qui montre qu'il n'a (à ce stade) que survolé le sujet de l'industrie du minage. Cette absence de double expertise manque à l'écosystème pour apporter une réponse globale sur l'impact du mining1 de Bitcoin.
Pour autant on dispose déjà de pas mal de matière, et mon raisonnement actuel est le suivant :
Evaluer le coût environnemental de Bitcoin suppose de regarder 3 choses : quelle est sa consommation totale ? comment est produite l'électricité qu'utilise le réseau ? est-ce que tout cela sert à quelque chose ?
Combien et comment ?
Si l'on prend le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index on tourne autour de 90-100 TWH par an, soit 0,4% de la consommation mondiale d'électricité. Si j'étends cette comparaison à toutes les énergies consommées, ces 90TWH représentent environ 7,7 Mtep sur 14 300 Mtep consommés au niveau mondial. Bitcoin représente donc grosso-modo 0,4 à 0,5% de l'énergie consommée à l'échelle planétaire. (tep = tonne équivalent pétrole)
Cette électricité est produite aujourd'hui à 60% avec du renouvelable (notamment hydroélectricité), alors que c'était 40% en 2020 (sources : Bitcoin Mining Council et Cambridge). On est donc sur une industrie environ "4 fois plus verte" que la moyenne mondiale (les sources d'énergie non carbonées - ENR + Nucléaire - représentent environ 15% du mix énergétique mondial) mais surtout en transition très rapide : certains experts du minage estiment que nous atteindrons les 80 à 85% de renouvelables d'ici à 2 ans.
On a donc une industrie dont le poids dans la consommation énergétique mondiale est marginal, et qui a déjà fait l'essentiel de sa transition vers une électricité verte.
Mais surtout, à quoi ça sert ?
Essentiellement à trois choses :
1. Permettre l'existence d'une réserve de valeur et d'un système de paiement mondial politiquement agnostique
Je ne m'étendrai pas là-dessus, je pense que les lecteurs sont déjà au fait de la valeur de Bitcoin : la rareté de l'actif, la création monétaire programmée et transparente, le réseau de paiement, la résistance à la censure etc.
Sur ce point chacun doit se positionner selon ses convictions : est-ce que ce type de système vous semble utile et nécessaire ? Evidemment pour moi la réponse est oui, mais je comprends que ce ne soit pas une évidence pour la plupart des Français vivant en zone euro : nous avons (jusque-là) eu la chance d'être globalement protégés des instabilités mondiales, des effondrements monétaires, de l'absence de système bancaire stable ou de la censure politique à grande échelle.
2. Faciliter et accélérer la transition de l'industrie de l'énergie elle même
Nous avons de nombreux cas montrant que l'activité de Mining peut contribuer à transformer une partie de l'industrie de production d'énergie, par exemple :
À travers le financement apporté aux nouvelles capacités de production d’ENR2 : les mineurs installés à côté des nouvelles infrastructures permettent à ces dernières de bénéficier d'un flux économique en attendant que la demande se développe. On estime ainsi que ce sont environ 4 à 5 milliards de dollars qui ont été versés par des entreprises de minage à des installations ENR depuis un an.
Comme incitation économique à la diminution de l'empreinte carbone : ici c'est l'exemple des torchères de plateformes pétrolières. Plutôt que de gaspiller de l’énergie et de rejeter du méthane dans l’atmosphère, vous utilisez l'énergie issue du flaring pour miner du bitcoin, lequel vous permet de rentabiliser l'investissement dans les dispositifs nécessaires à l’atteinte des objectifs de 0 flaring à horizon 2030, fixés par la Banque Mondiale (une petite synthèse du sujet dans cet article)
Enfin, quelques exemples émergent qui commencent à montrer l'intérêt du minage pour la résilience de la grille énergétique dans la durée : dans les phases nominales ou de faible demande les installations qui ont des extra-capacités peuvent se rentabiliser en approvisionnant les entreprises de minage. Inversement, en période de tension sur la consommation, arrêter l’activité de mining est infiniment plus simple et moins impactante que toute autre industrie, ce qui permet de dédier l'électricité produite au reste de l'économie. C'est ce qu'il s'est passé au Texas, par exemple, et une politique similaire s’applique en Norvège avec les extra-capacité d'hydroélectricité.
Il manque néanmoins des études globales évaluant l’impact actuel de ces initiatives et leur potentiel de passage à l’échelle, mais tous ces exemples sont prometteurs.
3. Potentiellement permettre la transition écologique d'une partie de finance traditionnelle : stockage de l'or et systèmes de paiement
Dans un contexte de transition écologique, il faut que l'on regarde chacune de nos industries existantes et que l'on se demande si 1. elle devrait être arrêtée ou si 2. elle doit être maintenue mais nécessite une transformation profonde pour réduire son impact environnemental.
Par exemple, dans le Transport, les vols domestiques en Europe ne se justifient que très rarement. Ils devraient majoritairement être remplacés par le train (cas n°1). Inversement on ne va pas arrêter de manger, donc on ne va pas arrêter l'élevage et l'agriculture, mais on peut transformer notre alimentation (diminuer de 80% la part carnée) et les méthodes de production pour réduire drastiquement l'impact environnemental de cette activité (cas n°2).
Lorsque l'on regarde les industries de l'or, au sens de réserve de valeur, et celle des réseaux de paiement, faut-il les éliminer ou les conserver en les transformant ? Transition écologique ou pas, je fais le pari que les sociétés humaines auront besoin de conserver une réserve de valeur agnostique d'un pays particulier, et continuerons à échanger de la valeur localement et à l'international.
Or, pour toutes les raisons évoquées plus haut, l'impact environnemental de Bitcoin est bien plus faible que celui des systèmes traditionnels.
Il commence à y avoir de premières études comparatives sur le sujet, comme celle de Michel Khazzaka, qui arrive à la conclusion que Bitcoin est 56 fois moins consommateur que nos systèmes de paiement traditionnels, avec une capacité potentielle de traitement supérieure. De même sur l'or, il est facile d'imaginer les gains environnementaux liés à l'arrêt de l'extraction, la transformation et le transport de l'or.
Bitcoin est donc une opportunité unique de transformer ces deux industries pour en réduire drastiquement leur impact environnemental tout en nous permettant de préserver les usages associés.
La proof of work a-t-elle encore un avenir ?
R.S. : Je vois mal comment de multiples chaines en PoW seraient bénéfiques à grande échelle et sur un temps long : on ne va pas s'amuser à construire 10 réseaux PoW de la taille de Bitcoin pour supporter autant de chaines à des niveaux de sécurité similaires.
La PoW restera, elle est au cœur de la proposition de valeur de Bitcoin, mais elle ne sera sans doute utilisée à grande échelle que sur ce dernier, et c'est très bien comme cela : si tu veux la sécurité et la décentralisation tu resteras sur Bitcoin ; si tu veux des usages variés et un écosystème de projets riches, en évolution rapide, tu iras sur une autre chaine, mais au détriment de la sécurité et de la résistance à la censure.
Romain, quel est ton point de vue sur The Merge, la mise à jour du réseau Ethereum qui vise justement à passer du PoW au PoS ? Quels sont les autres changements ? Quels sont les risques ? (une plus faible décentralisation, par exemple)
R.S. : The Merge n'est qu'une des (nombreuses) étapes prévues pour la transformation de la chaine Ethereum. Comme tu le dis, c'est l'étape du passage du PoW3 au PoS4, mais cela ne réglera pas les problèmes de frais sur le réseau, par exemple.
C'est assez excitant à suivre car il s'agit d'une migration colossale pour une chaine de cette taille, et qui porte un écosystème aussi riche.
Et c'est également un test grandeur nature de "passage à l'échelle" pour le Proof of Stake : au-delà des débats et des spéculations sur les bénéfices et les risques du PoS, nous allons pouvoir suivre un exemple unique par la taille.
Parmi les risques :
À très court-terme, la migration technique elle-même est risquée. Elle a été préparée de très longue date, et les phases de test se déroulent bien, mais nous serons nombreux à retenir notre souffle au moment fatidique.
À moyen-terme, il faudra suivre de très près la gestion de la gouvernance du réseau et son niveau de décentralisation : faire fonctionner un nœud complet n’est pas donné à tout le monde et la délégation aura tendance à concentrer le contrôle des validateurs par un petit nombre d’acteurs.
Enfin, Ethereum fait face à la concurrence de nombreux projets. Une transformation réussie lui permettrait sans aucun doute de s’imposer dans la durée en profitant de l’effet de réseau dont elle bénéficie déjà. A l’inverse, des retards ou des problèmes par suite des différentes migrations donneraient des armes à ses concurrents pour s’imposer comme des alternatives.
The Merge pourrait-elle être favorable au marché cryptos dans son ensemble ?
R.S. : Tout le monde l’espère, que ce soit sur le plan technologique – en asseyant encore un peu plus la place d’Ethereum et de son écosystème – ou sur le plan financier, en créant un choc de l’offre favorable à une hausse des prix.
Toutefois il faut envisager les choses sur le temps long : le passage en PoS est une occasion de tester ce mode de consensus à grande échelle, sur une blockchain extrêmement utilisée, dans un contexte d’une réglementation accrue des activités cryptos dans différentes régions du monde.
Mais on ne pourra pas immédiatement mesurer les conséquences du PoS sur le niveau de décentralisation et de résistance à la censure : c’est quelque chose à suivre sur le temps long.
Même chose si vous espérez que The Merge emmènera votre « bag » d’Ether « to the moon » dans les semaines qui viennent. C’est évidemment possible, mais les marchés cryptos ont leurs propres cycles, et nous sommes clairement dans un bear market, sur fond de crise mondiale d’une ampleur inédite.
D’après moi la probabilité est plutôt favorable à un « buy the rumor, sell the news ». Nous allons très vite voir si les jours qui viennent me donnent tort ou raison, mais préparez-vous à tous les scénarii.
Avec ce changement, le projet d’Ethereum peut-il éclipser Bitcoin dans un proche avenir ?
R.S. : Il faudrait définir ce que signifie « éclipser » : parle-t-on de la capitalisation ? de l’intérêt par le grand public ? du nombre de projets ?
Lorsque tu regardes les recherches sur Google l’intérêt pour Bitcoin reste prédominant face à Ethereum, signe que le grand public, lorsqu’il s’intéresse à l’écosystème, garde toujours Bitcoin en « top of mind ».
En revanche les cas d’usages qui ont été massivement portés par Ethereum ont connu un fort écho : la DeFi d’abord, mais surtout les NFT, qui ont amené de nouvelles industries et afficionados dans l’écosystème (à travers l’art, le gaming etc.)
De ce point de vue Ethereum a déjà éclipsé Bitcoin : sur ce dernier bull run c’est sur Ethereum que se sont passées les « hypes », les nouveautés, et qu’affluent les investissements des VCs.
Mais pendant ce temps Bitcoin continue à tenir sa promesse : l’adoption n’a jamais été aussi forte – par des entreprises, des banques, des États ; il tourne comme une horloge suisse et reste la réserve de valeur et le réseau de paiement de l’écosystème.
Certains y voient une concurrence ou une guerre des réseaux, je pense au contraire qu’il s’agit d’une bonne complémentarité : Bitcoin s’impose comme une alternative monétaire, réserve de valeur, le seul « abri » valable, dans lequel on se réfugie pour protéger son patrimoine crypto. Ethereum est une pouponnière à projets et innovations, qui permet de décliner de multiples cas d’usages et de voir émerger des projets variés ; souvent très risqués car nouveaux, exploratoires, instables, mouvants - donc sur lesquels s’exposer avec modération - mais passionnants à suivre.
Les market cap relatives dans tout ca ? Un possible flippening ? Honnêtement on s’en moque. Même si Bitcoin tombait à 10% de la market cap totale de l’écosystème il continuerait à tenir une promesse forte et unique et sa valeur fondamentale resterait inchangée.
Au global, les blockchains ne peuvent-elles pas devenir plus écologiques que les systèmes de paiement existants ? Une étude récente du FMI semble d'ailleurs l’indiquer
R.S. : On ne peut pas répondre pour "les blockchains" de manière générale : un système peut être considéré comme "vert" parce qu’il fonctionne avec peu d'électricité et/ou une électricité produite avec des sources peu carbonées.
Pour autant si son usage et son utilité sont faibles, alors cette consommation, aussi marginale soit elle, reste du gaspillage. Or sur les milliers de projets cryptos actuels, nombreux sont ceux auxquels nous ne devrions consacrer ni temps ni énergie.
En revanche, pour ceux qui ont montré des usages et des valeurs fondamentales, comme Bitcoin ou Ethereum, alors oui, ce sont des systèmes dont l'impact environnemental est bien plus faible que celui des systèmes traditionnels, et cela semble se vérifier y compris en passant à l'échelle.
Tu mentionnes l'étude du FMI, mais je remets ici celle de Michel Khazzaka comparant Bitcoin aux systèmes de paiements traditionnels. Et pour ceux qui n'ont pas le courage de lire l'étude j'ai essayé d'en faire une synthèse critique sur twitter.
Reste un enjeu fondamental de transition écologique : pour que cette efficience accrue soit bénéfique pour l’environnement, encore faut-il arriver à remplacer les systèmes traditionnels par les nouveaux (et non pas d’accumuler des systèmes les uns à côté des autres, aussi efficients soient-ils) et limiter ou annuler tout effet rebond.
Bref, il y a du travail 😊
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À très vite,
Amaury
Procédé par lequel les transactions Bitcoin sont sécurisées
Énergies renouvelables
Proof of Work (preuve de travail) : les mineurs utilisent du matériel informatique pour résoudre un problème algorithmique complexe
Proof of Stake (preuve d’enjeu) : algorithme de consensus utilisé par des blockchains par lequel un validateur se voit accorder au hasard le droit de valider un bloc et de percevoir la récompense correspondante. La probabilité d’être choisi augmente en fonction du nombre de crypto détenu dans le système.