Le Bitcoin n’aura jamais autant été au cœur de l’actualité qu’aujourd’hui. Avec la crise, ses cours se sont envolés pour approcher il y a peu les 64 000 dollars. Si certains s’inquiètent de sa volatilité, d’autres sont en revanche bien plus optimistes pour son avenir.
Afin de déterminer qui est le plus proche de la vérité, nous avons décidé de proposer un dossier spécial bitcoin en cinq parties sur les points, selon nous, les plus saillants.
Une question servira de fil rouge à nos réflexions : le bitcoin est-il un phénomène de mode qui bénéficie d’un contexte macroéconomique favorable, une bulle prête à exploser, ou, à l’inverse, une lame de fond en mesure de changer en profondeur l’industrie bancaire et financière ?
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Resituons d’abord le bitcoin dans un contexte historique. Apparu en tout début d’année 2009, son histoire est récente mais pour le moins mouvementée.
En l’espace de 12 ans, le bitcoin n’a cessé de défrayer la chronique avec des interrogations sur l’identité de son fondateur ou de ses fondateurs répondant au nom de Satoshi Nakamoto, l’implosion de trois bulles (au moins) depuis sa création, l’épisode du « pizza day » en 2010 où deux pizzas ont été achetées pour 10 000 bitcoins par un détenteur qui aurait pu devenir multimillionnaire quelques semaines plus tard et une réputation sulfureuse selon laquelle il aiderait au financement d’activités illicites (trafic de drogues et d’armes).
Bref, à l’origine, rien ne plaidait en faveur du bitcoin !
Le bitcoin : une folie totale ?
12 ans plus tard, et en dépit de l’envolée des cours, les pourfendeurs du bitcoin n’ont pas disparu. Bien au contraire ! Ces derniers n’en démordent pas : il reste un actif sans valeur, hautement spéculatif, extrêmement dangereux pour les investisseurs, ne reposant sur aucun sous-jacent.
Un économiste éminent, Nouriel Roubini a déclaré récemment que « les Pierrafeux (une famille de dessin animée à l’âge de pierre) avaient un meilleur système monétaire que le Bitcoin». Warren Buffett, le plus grand investisseur de tous les temps, qualifie de « folie totale » les crypto monnaies, catégorie dont fait partie le bitcoin.
Et pourtant … Avec un triplement de sa valeur en l’espace de 3 mois, le bitcoin a le vent en poupe. Si le chiffre en lui-même ne suffit par à se faire une idée de son potentiel ou de sa dangerosité, des éléments plus concrets semblent à l’évidence contrebalancer le point de vue des plus critiques.
L’alignement des planètes
Les derniers mois ont montré que le bitcoin est non seulement de plus en plus utilisé, mais aussi qu’un écosystème se constitue autour de lui, comprenant des échanges de cryptomonnaies, l’arrivée de crypto-banques (comme BlockFi), accompagnées de nouvelles offres en matière d’épargne, de prêt et d’emprunt en marge du secteur bancaire traditionnel.
Dans le même temps, les évolutions techniques par le biais d’API (Application Programming Interface) permettent de réaliser plus facilement des transactions en cryptomonnaies. De plus, il existe désormais 12 000 distributeurs de bitcoins dans le monde qui permettent d’en acheter et de les recevoir sur un wallet.
Il est vrai aussi que, pour la première fois, de grandes entreprises manifestent sans détour leur intérêt pour le bitcoin, ce qui contribue à son « institutionnalisation ».
PayPal, la plus grosse société de paiement en ligne du monde avec 325 millions d’utilisateurs, permet désormais à ses clients d’acheter, de vendre et de stocker du bitcoin. Même chose pour Master Card et Visa, qui va même lancer une nouvelle carte de crédit permettant de gagner des bitcoins.
L’engouement va même plus loin. Des sociétés prestigieuses ont même annoncé avoir investi une partie de leur trésorerie en bitcoin, jusqu’à 8 % pour Tesla, soit 1,5 milliard de dollars, ce qui a fait flamber le cours de la cryptomonnaie.
Autre élément d’importance : la quantité de bitcoin en circulation est plafonnée avec un rythme d’émission prédéfini dès son lancement et qui baisse au fil du temps. Le maximum de 21 millions de bitcoin sera atteint en 2140, contre déjà 18,6 millions en circulation aujourd’hui. Cette caractéristique pousse nombre d’analystes à qualifier le bitcoin « d’or numérique » et fait de lui un actif de couverture contre l’inflation qui menace.
Enfin, le bitcoin profite d’un possible désamour pour les monnaies traditionnelles. Il n’est pas à exclure qu’une communauté d’individus souhaite créer une devise nouvelle qui échappe aux autorités monétaires souveraines, faisant du bitcoin la monnaie d’internet.
« Alors que les monnaies virtuelles se multiplient, et que les monnaies traditionnelles traversent une période de crise, la démocratisation du bitcoin commence à se confirmer à l’échelle économique », notent plusieurs analystes de la banque américaine JP Morgan spécialisés dans la cryptomonnaie.
Qui plus est, les arrivées de nouvelles applications DeFi (Decentralized Finance) devraient attirer encore plus d’utilisateurs, séduits par une multitude de services financiers se passant d’intermédiaires.
Des obstacles de taille pour une diffusion plus large
Pour autant, des obstacles bien réels existent encore pour mettre à mal l’essor du bitcoin : une réglementation qui pourrait se durcir, la lenteur dans la réalisation des transactions et son empreinte écologique élevée. « Le bitcoin utilise plus d’électricité par transaction que tout autre méthode connue de l’humanité » a récemment critiqué Bill Gates, en ajoutant que ce « n'était pas une bonne chose pour le climat ».
Suite à notre introduction, nous fournirons, comme indiqué au début, des éclairages sur les quatre problématiques sélectionnées suivantes :
Le bitcoin : un contexte macroéconomique favorable pour son « institutionnalisation »
Le bitcoin : anticiper le futur avec de nouveaux cas d’usage
Le bitcoin : les obstacles qui pourraient remettre en question son essor
PARTIE I : L’ALTERNATIVE MONÉTAIRE
L’objectif de cette première partie est d’entrer dans la machinerie Bitcoin, sans trop s’appesantir sur les aspects informatiques.
Nous nous focaliserons sur la genèse du Bitcoin, ses objectifs initiaux et l’avancée technologique de rupture qu’il porte.
Le livre blanc du bitcoin
C’est en août 2008 que tout commence : le nom de domaine bitcoin.org est enregistré en ligne par une personne anonyme. Deux mois plus tard, apparait sur ce site, un article intitulé « Bitcoin : un système de paiement électronique pair à pair ». L’auteur, un dénommé Satoshi Nakamoto, utilise une liste mail de diffusion dédiée aux cypherpunks pour faire la promotion de son papier.
Le « livre blanc » de seulement 9 pages se concentre sur les spécificités du réseau bitcoin qui sont les suivantes :
Un registre partagé (ou grand livre comptable) qui enregistre toutes les transactions et les rend immuables grâce à la cryptographie (une technique d'écriture qui consiste à rédiger un message crypté, via l'utilisation de codes secrets ou de clés) ;
Un accès pseudonyme par un couple de clés : une privée (le mot de passe) pour accéder à son compte utilisateur et une publique (similaire à un RIB) pour envoyer et recevoir des bitcoins ;
Toute transaction validée par la « preuve de travail » ou « proof of work ». La charge incombe à des volontaires, appelés « mineurs », qui sont les teneurs du registre. Pour les récompenser, il sont rétribués en bitcoin. Tous les quatre ans, la prime de « minage » est divisée par deux (c’est le halving).
Fait surprenant, les mots « cryptomonnaie » et « blockchain » n’apparaissent à aucun moment dans l’article
En plus de ces trois caractéristiques, le bitcoin repose sur la rareté numérique. Son offre est limitée, comme évoqué en introduction. Son émission se fait selon une progression logarithmique. En ce sens, les inventeurs du bitcoin s’inspirent de l’École autrichienne d’économie qui expose les dangers d’une expansion monétaire incontrôlée et rejette l’intervention de l’État.
En 1984, Friedrich Hayek, l’un de ses plus illustres représentants, déclare un brin provocateur : « je ne crois pas au retour d'une monnaie saine tant que nous n'aurons pas retiré la monnaie des mains de l'État ; nous ne pouvons pas le faire violemment ; tout ce que nous pouvons faire, c'est, par quelque moyen indirect et rusé, introduire quelque chose qu'il ne peut pas stopper ».
À ce stade, nous avons présenté de manière la plus succincte et la plus simple possible les grandes lignes du protocole Bitcoin.
Les objectifs du réseau
Le bitcoin s’entend comme une nouvelle forme d’argent et comme un système de paiement novateur fonctionnant sans intermédiaire. Il repose sur une architecture pair-à-pair (peer-to-peer ou P2P) qui permet de réaliser des échanges directement entre deux ordinateurs connectés au système, sans transiter par un serveur central.
Contrairement aux systèmes de paiement qui existent sur des serveurs privés, le bitcoin est distribué sur des milliers de machines à travers le monde.
Pour résumer, le bitcoin permet d’échanger de la valeur sans avoir recours à un tiers de confiance (une banque en l’occurence). C’est ainsi que le réseau ne connait pas de frontière, ne ferme jamais, n’appartient à personne et est accessible à tous. Chaque utilisateur peut conserver sa propre copie du grand livre comptable évoqué plus haut.
Une innovation de rupture
Derrière le bitcoin, se cache une innovation de rupture : la blockchain (ou chaîne de blocs). Les transactions en bitcoin sont assemblées en bloc puis ajoutées à une chaîne. Chaque bloc comprend environ 2000 transactions. Un hash, une sorte d’empreinte digitale, calculé à partir des données du bloc, garantit sa validité.
Par extension, selon Blockchain France, « une blockchain est une base de données numérique infalsifiable sur laquelle sont inscrits tous les échanges effectués entre ses utilisateurs ».
Cette technologie prometteuse offre et est susceptible d’offrir de nombreux cas d’usages à l’avenir, dans et au-delà de la sphère financière.
Sans aller trop loin, nous pouvons, pour clôturer cette première partie, citer plusieurs exemples comme la solution d’identité décentralisée de Microsoft, la certification des échanges d’énergie, la gestion du cadastre immobiliser, la gestion et la vente d’actions effectuées par l’Australian Stock exchange … entre autres !
PARTIE II : L’OR NUMÉRIQUE
Nous en venons au deuxième volet de notre étude : l’institutionnalisation de la plus célèbre des cryptomonnaies. Commençons par présenter brièvement quatre preuves de ce début d’institutionnalisation :
1) Tout d’abord, le bitcoin attire chaque semaine de plus en plus de traders amateurs et professionnels ainsi que des sociétés d’investissement et pas des moindres. De la sorte, Black Rock, le premier gestionnaire d’actifs mondial a annoncé il y a peu inclure des produits dérivés du bitcoin dans la liste des actifs éligibles à deux de ses fonds d’investissement. L’engouement est partagé par de grands noms de la finance comme Bill Miller et Paul Tudor Jones (nous parlerons de lui plus bas).
2) Ensuite, les volumes d’échanges en crypto et la durée de détention des bitcoins augmentent, ce qui renforce l’idée qu’il n’est plus simplement considéré comme un actif spéculatif à court terme, mais plutôt comme un outil de diversification de portefeuille à long terme et une macro-couverture pour réduire les risques sur un portefeuille d’actifs financiers. Ceux qui s’accrochent au bitcoin quelle que soit sa volatilité entrent dans la catégorie « HODL ». Ce terme qui s’est popularisé dans l’univers des cryptos provient d’une erreur de frappe d’un internaute sur un forum spécialisé. Ce dernier, sous l’emprise de l’alcool, voulait écrire « hold », ou « je garde » après une baisse du cours ;
3) Autre élément : le bitcoin sert plus souvent à réaliser des paiements, en accord avec son but originel perdu de vue depuis des années. Pour autant, à ce stade, il est utile de dire que les transactions en bitcoin représente encore une fraction infinitésimale des transactions mondiales. Mais la dynamique est bien là. À titre d’illustration, nous donnons quelques exemples de sociétés qui acceptent désormais le bitcoin : Tesla pour acheter ses voitures (avant qu’Elon Musk ne change d’avis), Burger King en Allemagne, l’American Cancer Society et Wikileaks pour les dons qu’ils reçoivent, mais encore Twitch (la plateforme de streaming de vidéo d’Amazon), PayPal et bien d’autres ;
4) Enfin, et plus anecdotique, le nombre de distributeurs automatiques du bitcoin décolle à travers le monde (+ 85 % d’installations en 2020) pour atteindre 11 798 terminaux, essentiellement aux États-Unis, au Canada et en Allemagne. Ces ATM permettent à une personne d’acheter de la crypto en utilisant de l’argent liquide ou une carte de crédit. Là encore, le chiffre est à relativiser par rapport aux ATM « traditionnels » mais donne une idée du mouvement en cours.
Poursuivons notre réflexion en donnant trois raisons de l’essor actuel du bitcoin :
1) Première raison : les propriétés bien particulières du bitcoin et des actifs numériques en général sont à la base de leur succès. Selon des études, les principales raisons qui poussent les investisseurs vers ces actifs sont les suivantes : le fait qu’ils sont décorrélés d’autres classes d’actifs, la technologie innovante qu’ils portent, leur potentiel de croissance élevé, leur décentralisation (ou l’absence d’intermédiaire) ;
2) Deuxième raison : l’environnement macroéconomique exceptionnel propulse le bitcoin. Les réponses monétaires et budgétaires apportées à la crise sanitaire ont joué un rôle dans l’envolée récente des cours du bitcoin. Par leur ampleur inédite, une hausse de l’inflation est désormais anticipée par les investisseurs, venant contrebalancer les pressions déflationnistes initiales liées aux confinements successifs. Or, le bitcoin représente pour nombre d’entre eux le meilleur moyen de s’en prémunir. Car, au contraire des monnaies souveraines qui inondent les économies dans des proportions virtuellement illimitées, le bitcoin repose sur « la rareté numérique », comme on l’a déjà exposé. Cette caractéristique le rend particulièrement séduisant aux yeux des professionnels de la finance.
Pour étayer notre propos, il est utile de fournir des exemples de l’intervention des puissances publiques. En Europe, l’enveloppe totale du PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) de la BCE atteindra 1 850 milliards d’euros d’ici mars 2022 !
À côté des autorités monétaires, les gouvernements n’ont pas été en reste. Les deux plans de relance américains CARES act (Coronavirus Aid, Relief and Economic Security) et le plan Biden à venir atteignent à eux deux un montant astronomique de plus de 4000 milliards de dollar.
Avec tous ces éléments en tête, il n’est plus si incongru d’entendre Paul Tudor Jones, la légende du trading à la tête d’une fortune de 5 milliards de dollars, dire : « Je suis arrivé à la conclusion que le bitcoin allait être le meilleur investissement contre l’inflation ».
Pour la petite histoire, Jones a construit sa réputation en prévoyant le Black Monday du lundi 19 octobre 1987. Ce jour-là, il gagne 100 millions de dollars en pariant sur la chute des bourses mondiales. Un coup de maître !
3) Dernière raison qui montre l’amélioration de la légitimité du bitcoin : le marché des crypto-actifs s’est développé pour répondre aux besoins des institutionnels. Il existe désormais des centaines de plateformes de trading de cryptos avec des inferfaces bien plus sophistiquées qu’aux premières heures du bitcoin (comme Coinbase). De plus, le marché des dérivés futures et options sur crypto-actifs se professionnalise avec l’arrivée d’opérateurs historiques comme CME Group (le propriétaire du Chicago Mercantile Exchange).
Terminons notre deuxième partie sur le nouveau visage du Bitcoin.
Le fait qu’il soit « miné » a amené de nombreux acteurs du marché à surnommer le bitcoin « d’or numérique ». D’autres similitudes plus tangibles existent : les deux ont une offre limitée mais avec des caractéristiques différentes. Tandis que la quantité d’or encore disponible sur terre est inconnue, celle du bitcoin peut être calculée avec précision. Mais surtout, l’un et l’autre permettent de stocker de la valeur. Pour le bitcoin, certains mettent en doute cette affirmation, considérant qu’il n’a aucune valeur intrinsèque.
D’autres spécialistes du sujet vont dans une direction diamétralement opposée de ceux cités juste avant. Ils estiment que le bitcoin offre des avantages supplémentaires à l’or. Ils mettent en avant sa « divisibilité », son stockage virtuel, son indépendance face à l’intervention gouvernementale, et même son attrait « viral » pour les milléniaux. Pour résumer leur pensée et conclure notre deuxième partie, le bitcoin « allie les avantages de la technologie et de l’or ».
PARTIE III : LA MONNAIE MONDIALE
Nous tentons maintenant d’imaginer quel pourrait être l’avenir du bitcoin, entre renforcement de son rôle actuel et émergence de nouveaux usages.
Pour ce faire, nous partons de la situation actuelle. Aujourd’hui, le développement actuel du bitcoin s’opère sur 3 fronts, comme nous l’avons vu :
Il est utilisé pour régler des transactions : de grandes entreprises acceptent désormais le Bitcoin comme monnaie d’échange ;
Il suscite un intérêt croissant de la part des investisseurs, y compris des géants de la finance, en raison de sa rareté numérique et de ses propriétés. Nous avons terminé notre deuxième partie sur l’aspect « or digital » qu’est en train de revêtir le Bitcoin et nous commencerons notre troisième partie en approfondissant ce point ;
Il fait figure « d’étoile polaire », ou de référence absolue, dans la cryptosphère. Preuve de l’ébullition actuelle, Coinbase, la plus grande plateforme américaine d’échange de cryptomonnaies fera son entrée en Bourse le 14 avril. C’est ainsi que le bitcoin s’inscrit dans une révolution plus large qu’il convient de suivre de près.
La numérisation de la monnaie
Dans le contexte actuel (cf. notre deuxième partie) où l’hyperinflation menace, le bitcoin semble devenir une réserve décentralisée, une sorte de trésor de Hoxne virtuel, acceptée du monde entier comme un outil de conservation de la valeur. Le bitcoin se transforme en or algorithmique grâce à ses caractéristiques propres : il est facile à transporter, son prix est fixé 24h/24, 7 jours sur 7 et il est rare. Qui plus est, sa neutralité (absence de référent central) et sa décorrélation des autres devises renforcent son attrait.
Le nouveau rôle d’or numérique que les investisseurs accordent au Bitcoin pourrait se renforcer dans le futur à mesure que la confiance dans la monnaie fiat (ou monnaie fiduciaire affiliée à un État comme l’euro, le dollar ou le yen) s’érode.
Dans ce nouveau monde, la nécessité d’un suivi attentif de l’évolution de la masse monétaire redevient prégnante. À cet effet, Paul Tudor Jones conseille aux investisseurs de reprendre la théorie monétariste de Milton Friedman passée de mode ces dernières années. Selon celle-ci, c’est l’augmentation de la masse monétaire qui est la cause unique de la hausse des prix.
Or, comme l’écrit le célèbre économiste en 1976 : « la cause immédiate de l’inflation est toujours est partout la même : un accroissement anormalement rapide de la quantité de monnaie par rapport au volume de la production ».
La monnaie des échanges mondiaux
Au-delà du statut renforcé du Bitcoin en tant que réserve de valeur, le bitcoin pourrait devenir la monnaie de référence du commerce international comme l’explique la Citi dans un rapport publié début mars.
Sur le plan économique, les importateurs et les exportateurs pourraient l’utiliser comme monnaie unique de règlement, au lieu de passer par une chaîne d’échanges de devises avec des frais de conversion importants à la clé. En outre, un tel changement de logique permettrait de dissocier le commerce de considérations politiques, laissant la possibilité à certains États de s’affranchir du pouvoir exorbitant du dollar.
C’est ainsi que l’Iran a lancé l’an passé une stratégie nationale de minage du Bitcoin afin d’extraire et de posséder des bitcoins dits « propres » et intraçables sur les conseils de sa banque centrale, dans le but principal de financer les importations nationales.
Par conséquent, il est fort probable que le Bitcoin continue d’être soutenu par les pays souhaitant éviter d’utiliser le dollar pour les échanges internationaux (au premier rang desquels l’Iran, le Venezuela et la Turquie qui l’utilisent déjà entre eux) ainsi que ceux dont la monnaie nationale est très faible et très volatile. Ces derniers sont ceux où les populations connaissent le plus ce que signifie l’hyperinflation. Ils sont effectivement les pays où le taux de pénétration du Bitcoin et des cryptomonnaies en général est le plus élevé au sein de la population (32 % au Nigéria, 16 % en Turquie ou au Pérou, talonnés par l’Argentine ou encore le Mexique).
L’amélioration du protocole Bitcoin et une réaction étatique encore floue
Les cas d’usages cités juste avant pourraient être facilités par un élément de taille souvent oublié dans le débat sur l’avenir du Bitcoin : l’amélioration de son protocole par la technologie Lightning Network. Pour résumer, cette dernière permet de relier deux acteurs entre eux via un canal de paiement parallèle au réseau principal, rendant ainsi possible des transactions instantanées, et ce, pour presque aucun frais.
Allons un peu plus loin …
Notons ainsi que les banques américaines sont, depuis janvier 2021, autorisées à héberger et à faire fonctionner des noeuds (ou dispositif de stockage) du réseau Bitcoin (et donc des noeuds Lightning Network) mais également que les plateformes américaines historiques d’échange de cryptomonnaies deviennent peu à peu des banques à part entière à l’instar de Kraken (qui intègre le Lightning Network). Si les principaux acteurs financiers venaient chacun à héberger leur propre noeud Lightning, le réseau SWIFT pourrait s’en trouver menacé.
Tout le débat consiste dès lors à savoir quelle pourrait être la réaction des puissances publiques, aujourd’hui très timorée, dans le cas où le Bitcoin viendrait à menacer l’existence des monnaies fiat. Trois scénarios sont envisageables : la guerre totale, l’adoption ou le chaos (un mélange d’adoption et de confrontation suivant les régimes politiques et leurs intérêts). À ce niveau, nous vous conseillons deux très bons articles : celui de Yorick de Mombynes et celui de Thomas Andrieu.
PARTIE IV : DE VRAIS OU DE FAUX OBSTACLES À SURMONTER
Pour clore notre dossier, nous présentons les principaux obstacles qui subsistent. Chacun est susceptible, à des degrés variés, d’inverser la tendance actuelle d’euphorie sur le bitcoin. À chaque fois, nous tenterons de montrer de quelle manière ces entraves pourraient être surmontées. Là encore, le débat est riche, intense, parfois musclé, avec des arguments qui fusent de toute part :
1) Premier obstacle : n’étant pas émis par un État, le bitcoin et autres altcoins (ou « alternative coin », terme qui désigne toutes les autres cryptomonnaies que le bitcoin) ne disposent pas du même niveau de garantie en termes de valeur que les monnaies fiat.
Deux enjeux se posent à ce niveau. D’une part, il n’y a pas encore beaucoup d’acteurs dans le domaine de la conservation des actifs numériques. Ils sont au nombre de 11, reconnus et contrôlés (la liste est disponible dans le lien). D’autre part, dans de nombreux pays, les dépôts bancaires sont assurés jusqu’à un certain niveau. Or, ce n’est pas le cas pour le bitcoin, même s’il est maintenant possible de souscrire des assurances, mais pour des montants de couverture limités et au coût élevé.
Pour autant, il est utile de dire que la technologie visant à protéger les cryptoactifs s’est (nettement) améliorée avec le calcul multipartite sécurisé (ou « Multi-Party Computation), un champ de la cryptographie.
2) Deuxième obstacle : bien que Bitcoin soit l’un des systèmes informatisés les plus sécurisés au monde, les problèmes de sécurité dans l’utilisation qui en est faite demeurent. De ce fait, les acteurs et sociétés qui le manipulent ont régulièrement subi des attaques visant à dérober leurs bitcoins (MtGox en a fait les frais en 2011, mais plus récemment Binance et tous les autres géants du secteur ont dû faire face à divers vols de diverses crypto-monnaies et pas toujours de bitcoins).
Ce sont parfois les plateformes elle-même qui disparaissent en emportant les bitcoins qu’elles conservent pour le compte de leurs clients. Finalement cela pousse les investisseurs à prendre eux même la responsabilité de la sécurité de leurs fonds via l’utilisation de wallets non connectés à internet tels que les clefs de Ledger par exemple.
À cela s’ajoute le fait que dans l’imaginaire collectif le bitcoin est associé au financement du terrorisme, aux activités illégales et au darknet. Mais cette représentation est de plus en plus contestée par différents acteurs comme l’ancien n°1 de la CIA, notamment grâce à la traçabilité permise par la blockchain. C’est ainsi que selon les données de Chainalysis, seule 0,3 % de l’activité dans la cryptosphère était liée à une activité illicite en 2020.
3) Autre préoccupation : la puissance de calcul nécessaire à la validation des transactions est en hausse quasi constante en raison de l’afflux incessant de mineurs. Ces derniers doivent individuellement résoudre des calculs mathématiques de plus en plus complexes, nécessitant de plus en plus d’énergie, ce qui conduit certains à dire que le Bitcoin n’est rien d’autre qu'une monstruosité écologique.
Selon le “Bitcoin Electricity Consumption Index”, un indicateur mis au point par l’université de Cambridge, la consommation électrique liée au minage du Bitcoin serait équivalente à ce que consomme la Belgique en un an.
De fait, entre son caractère spéculatif et les avertissements réglementaires, il est difficile d’imaginer que le bitcoin obtienne un score élevé en matière de critères ESG (Environnement Sociétaux et Gouvernementaux), les piliers de l’investissement responsable.
Pourtant, les défenseurs de la cryptomonnaie avancent certains arguments qui nuancent le jugement très négatif présenté juste avant. Ils expliquent, non sans raison, que la majorité de l’électricité consommée par le minage provient en réalité de sources renouvelables. Conséquence : malgré une forte consommation énergétique, le bitcoin n’aurait donc en définitive qu’un impact insignifiant sur l’environnement, avec un poids dans les émissions de CO2 très faible, comme l’explique par exemple très bien Fidelity Asset Management.
Mieux : il aiderait à la transition énergétique. C’est du reste un point intéressant : l’exploitation minière du bitcoin se déplace lentement dans des endroits où il y a une offre suffisante d’énergie renouvelable, mais pas beaucoup de demande. C’est ainsi que l’ouest du Texas attire des entreprises spécialisées dans le minage du bitcoin.
4) Autre écueil possible pour certains : une réglementation plus dure avec, par exemple, une taxation renforcée des avoirs ou encore l’impossibilité de convertir les cryptos en monnaies fiat pourraient être une menace sérieuse pour le Bitcoin. Pour les plus optimistes, c’est au contraire le signe de la maturation de l’écosystème.
Sur ce point, nous retenons le scénario d’un éclatement de la réponse publique, en fonction des contextes politiques, géopolitiques et culturels. Chaque collectivité humaine aura donc une réponse différente face à l’essor du bitcoin. Mais, la réglementation en elle-même ne semble pas encore susceptible d’inverser le rapport de force, comme on a pu le voir dans des pays qui ont déjà mis en place des mesures plus strictes à l’encontre du Bitcoin.
5) Une autre menace pour l’avenir du bitcoin pourrait provenir de ses concurrents qui visent à le remplacer en tant que réserve de valeur, à l’image de tous les Bitcoins « améliorés » nés de « forks » (nouvelles branches de la blockchain) de son réseau tels que Bitcoin Cash, Bitcoin Diamond, Bitcoin Satoshi Vision, Bitcoin Gold, Bitcoin BEP2, ou encore et plus probablement Litecoin qui a été originellement conçu pour soulager le réseau Bitcoin en cas d’engorgement.
Si le Bitcoin s’est toujours présenté comme étant l’Or numérique, Litecoin se veut être l’Argent numérique. Il est possible d’évoquer Elrond Gold qui vise aussi à remplacer Bitcoin et a le vent en poupe auprès des nouveaux entrants sur le marché des crypto-monnaies. Les défenseurs du Bitcoin diront que beaucoup ont tenté de copier Bitcoin, mais qu’aucun protocole n’a autant fait consensus à travers le monde : la puissance de calcul du réseau qui ne cesse, et n’a jamais cessé, de croître en témoigne.
Là encore, le fait que le bitcoin subisse la menace de concurrents prouve à quel point il a bouleversé tous les repères, en créant un nouveau secteur d’activité en plein boom.
6) Un autre point d’attention : l’évolution du contexte macroéconomique pourrait affaiblir le bitcoin à l’avenir. En cas de reprise économique plus forte que prévu, les banques centrales pourraient réduire leur soutien monétaire. Prenant note d’un tel scénario, les investisseurs institutionnels pourraient retirer les pions placés dans les cryptomonnaies et être incités à réallouer leurs capitaux vers les marchés actions. D’autant, que compte tenu de l’euphorie actuelle sur les marchés financiers traditionnels, l’explosion d’une bulle est toujours possible dans les prochains mois, notamment dans le cas de figure où les taux d’intérêts venaient à être rehaussés.
Si la bulle venait à éclater comme en mars 2020, un manque de liquidité criant sur les marchés financiers contraindrait les institutionnels à vendre leurs bitcoins, ce qui le ferait plonger en même temps que le marché et pourrait le menacer, au moins à court terme, et à plus long terme si la crise venait à perdurer et que trop de petits épargnants venaient à investir plus que de raison sur cet actif très volatil.
7) Autre problème majeur : les frais de transaction du réseau pourraient être un facteur limitant du développement du Bitcoin. En effet, le réseau est très limité en termes de transactions par secondes (7 tps), et se trouve être très rapidement congestionné. Pour pallier ce problème, le réseau intègre un processus automatique d’augmentation des frais de transaction proportionnellement à l’engorgement du réseau (pour le plus grand plaisir des mineurs qui voient dès lors leurs revenus augmenter).
Cela est observable via le site d’analyse de la blockchain. Le pic des frais de transaction observé le 26 décembre 2017 (près de $60/trx) fait partie des raisons qui ont réduit l’euphorie constatée à ce moment-là sur le marché. Bitcoin n’est pas fait pour effectuer des dizaines de milliers de transactions à la seconde. Certes, le développement du Lightning Network permettra probablement d’y parvenir par des moyens détournés, mais son adoption (bien qu’en constante progression) est encore relativement faible.
C’est pourquoi une explosion des frais de transaction est un paramètre encore limitant à prendre en compte. Toutefois, si payer $60 pour vendre $200 peut être un frein pour les petits investisseurs majoritaires sur le marché d’hier, désormais ce sont les très gros acteurs qui sont majoritaires sur le réseau, et les frais de transactions ne leur feront pas peur. Ainsi l’adoption par les petits épargnants pourrait être freinée, limitée, et non celle des gros acteurs.
Certains signaleront aussi qu’il faudrait ajouter l’arrivée des CBDC (monnaies digitales de banques centrales comme nous en avons déjà parlé récemment) à la liste des obstacles. Mais à ce niveau, le sujet (très vaste) mérite un article à part entière et nous avons choisi, pour le moment, de ne pas développer davantage cet aspect.
À ce stade, nous voulions tout de même émettre une idée. C’est bien le bitcoin, une innovation méprisée à l’origine, qui avec son approche cryptographique décentralisée, a été le chamboule-tout, le déclencheur de tels projets par des institutions financières de référence.
Pour résumer notre pensée : à chaque obstacle, une réponse cohérente semble être apportée par le Bitcoin. Avec le temps, les imperfections originelles ont même tendance à être corrigées, notamment par des solutions technologiques nouvelles.
Mieux : le Bitcoin accélère la mutation de l’économie. En ce sens, il a prouvé tout à la fois la viabilité de la chaîne de blocs et de la technologie blockchain, deux ruptures fondamentales qui vont avoir un impact au-delà du secteur financier. En conséquence : tous les acteurs de l’écosystème sont poussés à innover. Nous ne sommes du reste qu’au début de ce vaste changement qui pourrait prendre des décennies.
Pour finir, une phrase de Schophenhauer nous vient à l’esprit. Elle décrit à merveille les étapes de la disruption que nous vivons : « Toute vérité franchit trois étapes. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence ».
Contre vents et marrées, le Bitcoin semble suivre ce chemin…
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