Le 22 septembre 2020, Xi Jinping, le président chinois, surprend. Dans un discours à l’Assemblée Générale de l’ONU se tenant de manière virtuelle (COVID oblige), il annonce : « Nous avons comme objectif de commencer à faire baisser les émissions de CO2 avant 2030, et d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 ».
La Chine n’était jamais allée aussi loin dans ses promesses environnementales !
Dans ce dossier en deux parties :
Nous examinerons tout d’abord les raisons qui se cachent derrière la décision de Pékin. À ce stade, nous devons préciser deux choses :
- D’abord, l’annonce est primordiale puisque la Chine est désormais le plus grand émetteur de CO2 au monde en montant global (avec 11,5 milliards de tonnes rejetées dans l’air chaque année), loin devant les États-Unis.
Toutefois, si l’on se réfère aux émissions par habitant, celles des Chinois sont deux fois moins importantes que celles des Américains, et sont aussi inférieures à la plupart des Européens (selon le pays d’origine).
- Ensuite, avec une classe moyenne en plein essor aspirant à rejoindre les modes de vie des Occidentaux et alors que le système économique est très consommateur en charbon, la Chine semble (à première vue) se tirer une balle dans le pied avec un objectif de neutralité carbone.
De cette manière, qu’est-ce qui peut bien motiver la Chine à réduire autant ses émissions ?
Nous examinerons dans une deuxième partie (réservée à nos abonnés) les impacts micro et macroéconomique de la transformation verte chinoise. Comme nous le verrons, une telle politique fera des gagnants mais aussi des perdants.
Pour répondre à notre première question : il nous faut présenter d’abord l’architecture générale du plan qui repose sur deux grandes dates : 2030 et 2060.
Un plan en deux étapes : une première étape atteignable, une deuxième beaucoup plus ambitieuse.
La première phase couvre la période entre aujourd’hui et 2030. Elle se concentre sur l’aplatissement de la courbe des émissions de CO2. La Chine semble sur la bonne voie pour y parvenir au regard des tendances actuelles qui sont observées comme une réduction de l’intensité énergétique, l’adoption des énergies renouvelables et l’électrification des secteurs des transports et de l’industrie, conformément aux objectifs fixés par le 14ème plan quinquennal, dont les grandes lignes ont été dévoilées début mars.
En résumé, le premier objectif de plafonnement des émissions d’ici fin 2030 est donc exigeant (sans être révolutionnaire) mais atteignable.
La deuxième phase constitue un défi beaucoup plus important que la première. En effet, elle nécessite une réduction pure et simple des émissions brutes de 11,5 milliards de tonnes émises par an en 2030 à moins de deux milliards d’ici 2060. C’est une vitesse de réduction beaucoup plus rapide que pour tous les autres grands pays pollueurs, étant donné que la Chine part de plus haut.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, la Chine devra apporter des changements fondamentaux à son modèle, et nous parlons ici de son système économique, de son système énergétique et de sa gestion des émissions, incluant :
une refonte de son économie vers des secteurs de service à faible émission de carbone dont la part devrait passer de 55 à 77 % en 30 ans ;
une refonte de son système énergétique en augmentant substantiellement la part des combustibles non fossiles de 30 % à 85 % ;
une restructuration des secteurs des transports et de l’industrie impliquant l’électrification, la construction de bâtiment avec une technologie économe en énergie et des matériaux recyclables.
Avec les grandes lignes de la transformation verte chinoise en tête, nous en venons maintenant aux raisons avancées pour comprendre une telle décision.
Première raison : les coûts des dommages environnementaux sont devenus trop lourds pour être ignorés.
La hausse des températures, la pollution atmosphérique, les conditions météorologiques erratiques ont engendré des coûts énormes et constituent une menace réelle pour le bien-être de la société chinoise ;
Une estimation évalue la perte de PIB à 6,6 % par an, la plus élevée de tous les pays du monde concernant les impacts climatiques. De plus, 90 % des Chinois se déclarent préoccupés par la dégradation de l’environnement. Pékin ne peut donc se résoudre à l’inaction, ce qui pourrait avoir comme conséquence de déstabiliser l’ordre social.
Deuxième explication : une transition plus rapide loin des combustibles fossiles peut permettre à la Chine d’atténuer les risques pour sa sécurité énergétique (qui est la garantie d’approvisionnement en énergie primaire permettant de satisfaire les besoins en énergie finale des populations et des industries)
Bien que la Chine soit le plus grand consommateur d’énergie, seulement une petite fraction de cette demande est satisfaite par la production nationale. C’est ainsi que 60 % de la consommation de pétrole et 40 % de son gaz sont importés chaque année.
S’appuyer sur les approvisionnements énergétiques étrangers (pétrole d’Irak et d’Iran, gaz de Russie, charbon d’Australie ou gaz naturel liquéfié -GNL- des États-Unis) met la Chine dans une position de vulnérabilité face aux risques d’instabilité régionale (au Moyen-Orient), de sanctions politiques (avec ses partenaires russes et iraniens) et de différends bilatéraux (avec l’Australie et les États-Unis).
Par conséquent, la volonté de la Chine d’assurer la transition vers une forme d’énergie plus propre, avec laquelle elle peut être autosuffisante permet de faire d’une pierre de coups : à la fois atteindre la durabilité climatique et améliorer sa sécurité énergétique.
Troisième raison : la réduction rapide du coût des énergies renouvelables rend la transition énergétique possible
Des années d’investissements colossaux, d’importantes subventions gouvernementales et une forte pression réglementaire ont entraîné une baisse substantielle des coûts de l’énergie éolienne et solaire en Chine, désormais comparable au coût du charbon.
Cette tendance a été exportée vers de nombreux partenaires commerciaux de la Chine ces dernières années, faisant d’une transition vers les énergies renouvelables de plus en plus abordable à l’échelle mondiale.
Dernière explication : le leadership sur les questions climatiques peut permettre à la Chine de renforcer son soft power, atténuer les tensions géopolitiques et améliorer son image dans le monde. Cela peut lui permettre également d’étendre son influence géopolitique au reste du monde, à réduire les antagonismes avec les États-Unis, ou à construire un partenariat solide avec l’Union Européenne pour établir des normes de pollution par exemple.
Quoi qu’il en soit, la mise en application de ce plan en deux étapes nécessitera d’énormes investissements dans les énergies renouvelables, les technologies vertes et les infrastructures HQE. Cela créera des emplois et des opportunités de croissance pour beaucoup d’industries émergentes.
En revanche, les secteurs traditionnels qui ne s’adapteront pas assez vite seront plus en difficulté. Les impacts macroéconomiques et microéconomiques induits par cette transformation seront profonds, de grande ampleur et durable. Nous en parlerons dans notre deuxième partie réservée à nos abonnés premium.